Klee et Jawlensky - Une amitié d’artistes
Sans ses amis artistes, l’individualiste qu’était Paul Klee ne serait pas devenu le peintre hors norme que nous connaissons aujourd’hui. De ce point de vue, son amitié avec Alexej von Jawlensky fut d’une importance particulière.
Les deux artistes firent connaissance en 1912 à Munich, dans le cercle du Cavalier Bleu et chacun estimait très haut l’œuvre de l’autre. Jawlensky est l’artiste avec lequel Klee a échangé le plus d’œuvres. Bien qu’ils ne se soient rencontrés qu’une seule fois après 1925, Klee et Jawlensky continuent à s’offrir réciproquement des œuvres. Dans leur correspondance, chacun compatit au destin de l’autre.
Cette exposition présente pour la première fois des œuvres exceptionnelles d’Alexej von Jawlensky qui se trouvent au Zentrum Paul Klee. Transmises au ZPK par le biais de la donation Livia Klee, elles proviennent pour une part de la succession Paul Klee. D’autre part de prêts, des emprunts permanents auprès de collectionneurs privés, qui enrichissent les collections Klee de notre musée.
Débuts artistiques
Les premières années de création de Klee et de Jawlensky sont marquées par
la formation artistique reçue à la fin du 19ème siècle ainsi que par la
volonté de dépasser les schémas académiques. Le portrait et la
représentation de la figure humaine occupent, en tant que genre
classique en peinture, une place importante dans l’œuvre précoce des
deux artistes. C’étaient souvent des êtres issus de leur entourage
familial et intime qui posaient pour eux. Ceci confère un caractère
personnel aux études de portraits réalisées par les deux peintres et
traduit tout autant leur volonté d’exprimer leur subjectivité. Pour
Jawlensky, la représentation de l’être d’humain et en particulier du
visage est restée le thème dominant de sa production artistique. Chez
Klee, en revanche, elle n’est qu’un motif parmi beaucoup d’autres.
Autoportrait
Les autoportraits sont l’occasion d’une représentation et d’une réflexion
artistique sur soi-même. Tandis que l’autoportrait de Jawlensky (1912),
déjà fort célèbre durant les années 1910, rayonne d’une conscience de
soi et d’une présence forte, les autoportraits que Klee réalise à la
même époque se caractérisent par leur distance et leur réserve. Dans
quelques-uns d’entre eux, il se présente comme un artiste retiré du
monde, absorbé dans ses pensées, qui fait naître son univers pictural
d’un monde intérieur. Il fait ainsi sciemment référence à l’image
véhiculée par la presse et par ses propres témoignages écrits.
Échange d’œuvres – Un signe d’amitié
Entre 1914 et 1935, les deux artistes s’offrirent 30 œuvres témoignant de
leur amitié et de leur estime mutuelle (15 œuvres de Klee, 15 de
Jawlensky). Cet échange, auquel la compagne de Jawlensky, l’artiste
Marianne von Werefkin, a participé pendant un temps, a débuté avant que
n’éclate la Première Guerre mondiale. Klee considérait ces œuvres comme
«les cadeaux les plus précieux et les plus personnels» qui fussent.
La nature morte – une nouvelle conception
Jawlensky et Klee travaillèrent aussi à d’autres genres traditionnels comme la
nature morte sur laquelle ils eurent plaisir à se livrer à des
expérimentations picturales. Partant de l’exemple des impressionnistes
ou de l’École de peinture de Dachau, les deux peintres cherchèrent à
animer les motifs de leurs toiles. Ils utilisèrent des couleurs vives,
des perspectives et des angles de vue inhabituels et optèrent pour une
représentation dynamique des contours et des volumes. Après 1914, les
deux artistes relèguent à l’arrière-plan le travail plastique sur la
nature morte. Mais à l’occasion, Jawlensky peint encore quelques natures mortes avec fleurs; il semble alors faire une pause dans son travail
presque exclusivement consacré au visage humain. Jusque dans ses œuvres
tardives, Klee ne renonce pas non plus à ce genre, mais il le traite la
plupart du temps avec une distance ironique.
Paysage
En ce qui concerne la peinture de paysage, on constate, en l’espace d’une
bonne dizaine d’années, une transformation profonde dans la création des deux artistes. C’est durant son exil suisse à St. Prex et Ascona que
Jawlensky se tourne vers l’abstraction en inaugurant la série des
«Variations» exécutées pendant les années 1915 et 1916. Sous l’influence de la peinture de Robert Delaunay et de ses champs colorés, Klee
parvient à 1914 que Jawlensky à des solutions abstraites qu’il transpose assez souvent en paysages imaginaires.
Architecture et espace
La représentation de l’architecture et de l’espace constitue un aspect
central de la création de Klee, au sens propre comme au fi guré. Dans
l’œuvre de Jawlensky, cette thématique ne joue un rôle qu’au sens
abstrait d’une «architecture colorée» de l’image. Dans son œuvre, les
représentations de l’architecture se limitent donc à quelques vues de
villes, tandis que Klee, notamment lorsqu’il enseignait au Bauhaus,
sondait la dimension plastique d’espaces réels et virtuels.
Têtes mystiques – Méditations
Jawlensky fi t de la représentation du visage humain une tâche artistique
surpassant tout et il s’y consacra presque exclusivement à partir de
1916. En 1917, il créa les premières œuvres des séries intitulées «Têtes mystiques» et «Têtes christiques». Celles-ci se distinguent par une
réduction du visage à de simples signes pour les yeux, le nez et la
bouche, ainsi que pour les contours de la tête et du cou. Dès 1926,
Jawlensky emprunta ce schéma pour développer ses «Têtes abstraites»:
toujours vues de face, elles se présentent les yeux fermés et sous la
forme héraldique d’un U. Souvent, à partir de 1934, la force de ses
mains l’abandonne et il est obligé de s’aider de sa main gauche pour
peindre. C’est dans ces conditions que naît, dès 1937, le groupe
d’œuvres appelé «Méditations»; leur présence spirituelle rappelle les
icônes byzantines.
Jeu des visages
Lorsque Klee représente le visage humain, son regard se nourrit de l’intérêt
qu’il porte aux multiples caractéristiques d’une physionomie. Il puise
dans un immense réservoir de formes et aborde ses visages imaginaires –
qu’il interprète souvent avec ironie – de manière ludique et
associative. Contrairement à lui, Jawlensky crée ses têtes à partir d’un fonds de formes rigoureusement réduit, mais d’autant plus riche sur le
plan de la couleur.